L'Ile de Beauté

La traversée de la Corse du Nord au Sud

TEMPS DE LECTURE : 15min

Tout commence par ce besoin insidieux d’aventure, cette envie d’espace. Le souhait de retrouver une certaine forme de simplicité loin des sollicitations quotidiennes. Notre dernier trek sur l’île de Madère avec mes 2 complices Pierre et Pablo est déjà loin, il est temps de repartir. Direction l’île de beauté .

Le soleil comme guide et nos guiboles comme moyen de transport. Un vague croquis en tête de notre parcours et nous voilà lancés sur l’odyssée corse, du nord au Sud, à la découverte de ses beautés si renommées.

Tel un fil tendu entre Nord et Sud, le GR20 joue les funambules sur les hauteurs géologiques de l’île. GR20 : drôle d’acronyme pour nommer ce sentier si plein de majesté. Et des contradictions il y en a sur ce parcours réputé pour être le plus beau, et le plus difficile d’Europe. Suivons ensemble ce fil d’Ariane tissé de blanc et rouge, à la découverte de ses beautés, mais aussi de ses paradoxes qui rendent cette île si spéciale.

Lundi 06h00 - Le départ de Calenzana

Calenzana. Joli bourg de rien où la mer est absente et la montagne encore timide. Au départ du célèbre sentier, on n’ambitionne rien d’autre qu’un beau voyage, la carte en guise de passeport et la Corse comme planisphère. Autrement dit, on part l’esprit léger. Pour le reste, c’est une autre histoire, car le sac, lui, pèse son poids le bougre. Cette première journée sera un préambule à ce voyage. Elle est déjà très représentative des sentiers corses avec des alternances entre passages relativement roulants et passages de crêtes dentelées. Des sentiers tantôt sinueux, tantôt accidentés qui permettent de prendre la mesure de ce qui nous attend pour la suite. Une journée qui est aussi idéale pour tester le matériel et s’habituer au sac.

Le GR 20 débute par un ancien sentier muletier qui monte vers notre premier col : Bocca U Corsu. Installé à 1520 m d'altitude, il nous offre un très bon beau point de vue, avec comme toile de fond la mer Méditerranée et la ville de Calvi.

Les odeurs sont tout aussi singulières. L'air se charge progressivement de senteurs aromatiques et sucrées qui me rappellent la fragrance puissante des fleurs d'Acacias. La suite se révèle plus accidentée avec des mains courantes et des passages en escalade qui rendent la progression très lente. Nous finirons pas accéder au point culminant de notre journée, en longeant les crêtes pour apercevoir au loin, notre refuge pour la nuit, à Ortu di u Piobbu.

Cette première journée nous aura permis d'être très vite confrontés au grand nombre de randonneurs dû à la notoriété de ce sentier corse. En venant sur le GR20, on recherche tous la même chose. On souhaite partir à l'aventure, s'extirper de notre confort quotidien pour se confronter à quelque chose de rude, de sauvage. C'est notre désir d'authenticité et de sobriété qui nous pousse à tenter l'expérience. Pourtant, dès nos premières rencontres durant la randonnée, les discussions se sont très vite axées sur l'organisation, le matériel, et les impératifs inhérents à ce trek.

Combien de dénivelés ? De kilomètres ? Quel est le poids de ton sac ? Combien d'étapes ? Combien d'ampoules ? Combien de temps ? Quelle heure est-il ? Le GR20 est sans nul doute l'un des plus beaux sentiers d'Europe, mais c'est aussi un des plus chiffrés, planifiés, quantifiés. Comme pour se rassurer face à ce géant des mers, l'homme tente d'aménager ces montagnes pour la rendre plus accessible. Mais n'oublions pas qu'en montagne, on ne peut pas tout contrôler. Parfois, une petite averse peut chambouler tous nos plans. Et justement, n'y a-t-il pas dans l'imprévu quelque chose de magique ? Une saveur particulière qui rend l'aventure un peu plus unique et mémorable. Partir sur une organisation plus sommaire c'est accepter qu'on ne peut pas tout maîtriser dans la nature.

Et personne ne vous dira le contraire, les soirées improvisées sont souvent les meilleures. C'est sur ces quelques pensées que nous profiterons dune petite veillée, aux dernières lueurs de la journée, avec Marion, Claire & Morgan : 3 autres randonneurs rencontrés sur le sentier.

Mardi 06h00 - Étape dOrtu à Ascu Stagnu.

Enthousiasmés par nos échanges au refuge, on décide de repartir avec le groupe rencontré la veille. Cette seconde étape nous éloigne des côtes, pour rentrer dans le coeur rocheux de l'île. Une fois tourné le dos au bord de mer, le paysage ne va pas tarder à se métamorphoser. La Corse va devenir forteresse minérale. Un dédale granitique perché à une altitude moyenne de 2000 mètres.

La première partie de cette étape nous emmène à 1950 m d'altitude à Bocca di Pisciaghja. Il sen suit un enchaînement de cols escarpés, comme suspendus dans les airs. On se dirige tout droit vers le refuge de Carrozu. Les sentiers se font plus rares, et les passages d'escalade plus réguliers. Des pentes plus raides qui rendent la progression difficile. Le sac photo se fait sentir et ralentit notre marche. Mais ça permet aussi de s'offrir du temps. Le temps des pauses, pour profiter de chaque paysage, et d'observer tout simplement.

C'est les corps fatigués de cette éprouvante journée et la faim au ventre que nous atteindrons le refuge d'Ascu Stagnu. Un bon repas et une bonne nuit de sommeil seront les seuls et uniques objectifs de cette soirée avant d'attaquer, demain, le point culminant de la Corse : Le Monte Cinto. Une phrase qui résume cette journée :

Le plaisir est toujours un bien, et la douleur toujours un mal ; mais il n'est pas toujours avantageux de jouir du plaisir, et il est quelquefois avantageux de souffrir la douleur.

Nicolas de Malebranche

Mercredi 06h00 - Le Monte Cinto, à la cime des beautés.

L'étape de la veille, avec ses 9 h de marche, aura laissé des traces. Nous partons donc aujourd'hui à l'assaut du Monte Cinto, mais avec plus d'humilité. Cette étape est sans aucun doute le point d'orgue de la partie nord du GR20, c'est le point culminant, la cime de l'île. Un paysage d'une très grande minéralité qui laisse peu de place à toute autre forme de vie. Nous commençons par longer le ruisseau de Tighiettu qui nous permettra de nous enfoncer dans le vallon avant de débuter notre montée. C'est ici que commence réellement la difficulté. L'ascension est très longue, avec des passages très escarpés, voire acrobatiques. Mais de nombreuses chaînes nous aideront dans notre progression. Il sera alors nécessaire d'utiliser nos mains pour franchir les passages en blocs, petits goulets et autres dalles rocheuses.

Le sentier serpente le long du vallon et déroule son long ruban sinueux au travers des roches et des pierriers. Cette longue montée nous amène sur un premier replat, à mi-parcours, à Bocca Borba (2300 m). Ce premier col sera l'occasion parfaite pour prendre le temps d'observer et de se couvrir pour la fin de cette ascension qui s'annonce très ventée. Cet ultime sentier, dans les cailloux, nous amènera à la Pointe des Éboulis (2607 m), notre point culminant de la journée.

À cette altitude, les nuages dansent follement dans le ciel. La puissance du vent ne nous permet pas de rester au col trop longtemps. Nous décidons donc de nous abriter du vent grâce à un muret de pierre, afin de pouvoir profiter de ce spectacle. Sur le toit de la Corse, les journées semblent passer à un rythme effréné. Cela contraste avec la lenteur de nos mouvements. C'est une constante alternance de soleil et de brouillard venant coiffer le sommet. Heureux d'être ici à cet endroit précis sans autre but que d'apprécier ce moment. L'esprit se libère alors des contraintes auxquelles le corps est soumis.

Face à la beauté et à l'immensité de ces sommets insulaires, nous partageons ensemble notre bonheur d'être là, espérant tous les trois qu'un tel moment s'inscrive durablement sur la frise du temps. Sortir de sa zone de confort, prendre des risques, s'engager, avoir le goût du partage et de la beauté des formes, c'est tout cela dont il est question sur ce GR20. Nous poursuivons le parcours entre action et contemplation. Aucun de nous n'est rassasié de la vue incroyable dont nous gratifie ce sentier du vertige.

Le brouillard finit par nous rendre le paysage qu'il a avalé. Vient alors la longue descente vers la vallée pour rejoindre Tighjettu, notre refuge pour la nuit, où l'on pourra se réchauffer un peu. On décide de se ménager un peu et l'on s'offre une après-midi sieste. Une palette en bois comme sommier, une quechua comme toit, royale ! On reprendra la route demain, après tout, on n'est pas aux pièces.

Jeudi 06h00 - Étape de Tighjettu à Mangadu.

Cette étape est pour moi l'une des plus riches dans sa diversité. Passage de col rocheux, petit bois, rivière, petits gours d'eau... Le GR nous offre un éventail de ce que la Corse à de plus beau à nous offrir. En guise d'échauffement, c'est une longue marche à l'ombre des arbres qui nous attend. S'ensuit le franchissement d'un col bien raide dans les rochers qui nous permettra d'atteindre Bocca di Fuciale, à 1900 m. Ici encore, le vent du Nord est bien présent. Il nous oblige à poursuivre notre chemin pour éviter de trop nous refroidir.

Ce col est une vraie étape de transition. On change de versant pour rentrer un peu plus profondément dans les terres, toujours sur l'épine dorsale de l'île. La suite sera bien plus roulante et ensoleillée avec une longue descente dans une vallée herbeuse, en suivant comme guide un long cours d'eau. En compagnie du groupe rencontré le premier jour, on prend donc le temps de s'arrêter et de se rafraîchir. Les pieds dans l'eau et le visage au soleil, une pensée me vient.

Lézarder au soleil, procrastiner au refuge, avoir la flemme, prendre le temps, être en retard, ralentir... Voici bon nombre d'activités qui en temps normal pourraient être mal vu dans notre société, mais qui dans ces circonstances précises, deviennent des activités essentielles. La randonnée a quelque chose d'anachronique et pourtant de tellement liée au temps. C'est une activité qui permet de se déconnecter des préoccupations de tous les jours. «Prendre le temps», en laissant de côté les obligations du quotidien. C'est se reconnecter au temps réel, au vivant et à soi-même. Retrouver son propre rythme.

Et pourtant, la notion du temps reste prépondérante dans ce genre de randonnée bivouac. Partir tôt pour éviter les grosses chaleurs, monter le bivouac avant la tombée de la nuit, observer le soleil, les ombres, les nuages... La notion du temps me semble finalement plus présente ici que dans nos vies quotidiennes. C'est elle qui régit nos décisions et nos choix. Cela peut même devenir un facteur de risque en cas de mauvaises prises de décisions (orages, forte chaleur, fatigue).

Le soleil nous rappelant à l'ordre, nous repartons donc pour la suite de cette journée, direction le refuge de Mangadu. À travers une longue marche facile à l'ombre des pins nous rejoignons le col de Bocca San Pedru (1400 m) puis le col de Bocca à Reta. D'ici nous apercevons le lac de Nino où nous trouverons la source di U lavu, sur le plateau du Camputile. Entouré de ce qu'on appelle les pozzines, ce lac est une vraie merveille. Les «pozzines» sont d'étranges oasis au coeur des montagnes corses. Ces pelouses spongieuses et verdoyantes sont des puits d'origine glaciaire. Elles sont en fait traversées par des ruisseaux qui les gorgent d'eau. Cela nous donne l'illusion de voir des morceaux de pelouse flotter sur une étendue d'eau. Ici la Corse prend des allures d'Irlande.

La richesse de la flore attire de nombreux animaux : des insectes, des oiseaux principalement. Nous rencontrons aussi des vaches, des cochons et des chevaux en totale liberté. Nous en profitons pour une petite sieste improvisée, avant de rejoindre le refuge de Mangadu, à 45 min de marche.

Vendredi - Étape de Mangadu à l'Onda

06h00. Toujours la même heure de départ. Nous sommes réveillés par les premiers bruits de bâtons qui raisonnent sur les cailloux. Signe que les plus courageux prennent la poudre d'escampette à la lueur de leur frontale. Aujourd'hui une très belle étape nous attend. Elle aura aussi son lot de difficultés, l'un n'allant pas sans l'autre. Au programme, un col à 2200 m d'altitude puis une très longue partie à serpenter sur les hautes crêtes de la Corse du Nord. La première partie de la montée est jolie et surprenante, cela étant du à la végétation de fin d'été encore présente. Ce paysage laisse rapidement place aux rochers et aux éboulis dans lesquels se fait la montée.

Cette étape est beaucoup plus similaire aux deux journées précédentes par ses paysages, ses pics escarpés et par ses chemins cassants très rocheux. C'est une étape très alpine, où l'on flirte une nouvelle fois avec la cime de l'île. La Brèche de Capitello à 2200 m est le seul point de passage pour traverser cette chaîne montagneuse.

Ce col n'est finalement qu'un trou dans la montagne pour laisser passer la lumière et les randonneurs qui l'empruntent. Passer un col, c'est toujours changer d'état. On ne sait pas vraiment dire pourquoi, mais le soleil est toujours de l'autre côté du col. Et c'est le cas aujourd'hui. Une fois arrivés là-haut, les premières lueurs du soleil remplissent la vallée. Ce col haut perché nous ouvre une vue exceptionnelle autour des lacs glaciaires de Capitello et de Melo. Surplombant ce cirque de granit clair, le massif de la Restonica semble vouloir imposer un silence religieux. Cet endroit à des allures de paradis.

Nous descendons ensuite dans les éboulis puis suivons les crêtes avec de superbes vues sur les pics alentour. Cette partie est assez technique et exigeante, on suit la base des crêtes puis on traverse une nouvelle fois un col avant une descente assez difficile vers le refuge de Petra Piana, notre arrêt pour ce midi. L'étape de cette après-midi sera plus facile malgré la technicité du terrain. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que nous atteignons le refuge de l'Onda.

Les arrivées au refuge sont toujours des moments assez particuliers. Après les journées passées à trois, dans une relative solitude, il faut alors se réhabituer à la vie en communauté, parmi tous les randonneurs présent sur le GR. Malgré une ambiance chaleureuse, les soirs au refuge sont synonymes d'attente.

Attendre son tour pour se doucher, pour faire sa lessive ou même pour se laver les dents. Il est étrange de se dire qu'à 1500m d'altitude, au beau milieu de la Corse, il faut encore faire la queue. Mais cette attente donne lieu parfois à de très belles rencontres. Comme celle de Cléa et Apolline qui nous inviteront à manger avec leur groupe. Très belle soirée que nous passerons autour d'un plat de lasagnes au Brocciu découpées d'une main de maître par le gardien du refuge.

Étape de l'Onda à Usciolu - L'humilité

Nous voici à un tournant de cette traversée. Aujourd'hui, nous basculons officiellement dans le sud de l'île via le col de Vizzavona. Il est vrai que la partie sud est nettement moins escarpée par rapport au nord, mais les montagnes et les pics y sont toujours présents. Un parcours moins technique, mais qui restera donc très exigeant. Mais avant d'atteindre Vizzavona, une sacrée étape nous attend. L'important relief qui sépare la Haute-Corse de la Corse-du-Sud, véritable épine dorsale montagneuse, contribue à faire évoluer les conditions climatiques de façon brusque avec l'altitude et à offrir un climat de type alpin dès 800 mètres d'altitude.

Et en effet, ce matin, l'île fait des caprices. Après 5 jours de beaux temps, ce matin elle révèle son caractère âpre. La pluie et un vent à vous faire décoller du sol semblent s'installer durablement sur la partie nord de l'île. Par prudence nous décidons d'attendre le lever complet du jour afin de prendre notre décision sur notre départ ou non du refuge.

Après réflexion, la pluie se faisant plus rare, nous faisons le choix de prendre le départ, mais conscient que l'ascension risque d'être chahutée par cette météo capricieuse. Image de la Corse bien différente de celle d'hier et de son ardent soleil. La montée à l'arrête de la Punta Muratellu (2020 m) se fait quasi à l'aveugle. Prisonnier d'un magma solide de brume mêlée de crachin, ce sentier sinueux dégage une ambiance de bout du monde. Quelle étape dantesque ! La montagne nous rappelle à l'ordre, et nous fait bien comprendre que c'est bien elle qui décide. Nous n'avons pas d'autres choix que de faire preuve d'humilité et de vigilance.

Cette météo rajoute tout à coup un peu de piment à cette ascension aux allures d'Everest. Elle se fait par des rafales à plus de 80 km/h ce qui rend notre progression très lente et difficile. Ici, les sensations sont décuplées. La randonnée a cela de magique, c'est quelle vous fait basculer dans un autre monde. Le corps et l'esprit entièrement mobilisés, l'action se suffit à elle même. Dans un passage difficile, impossible de penser à autre chose ou espérer décrocher son téléphone. C'est un peu comme si le changement de progression, du mode horizontal au mode vertical, modifiait simultanément notre rapport au corps, à l'espace et au temps.

La Punta Muratellu

En plus de ne pas laisser le choix, la montagne a cela d'unique qu'elle vous mobilise entièrement dans tout ce que vous êtes. C'est peut-être cela sa plus belle fonction, vous obliger à ne plus penser et vous offrir simplement la possibilité d'être.

Nous voici à notre point culminant de cette journée , la Punta Muratellu. Une fois passée la brèche, nous basculons enfin vers un environnement beaucoup moins hostile. Tel un garde-fou, cette dernière chaîne de haute altitude nous préservera du chaos météorologique du nord. Elle nous permettra de retrouver un peu de quiétude avec l'apparition timide du soleil et un vent bien plus raisonnable. Nous rejoindrons progressivement le prochain refuge en suivant un cours d'eau au travers dune longue descente. Repos bien mérité, au refuge de Capanelle.

Lundi - Étape de Usciolu à Asinau

7e et avant-dernier jour. Les réserves de nourriture sont quasi à sec, il faut donc s'adapter, ce sera brioche au pâté pour le petit déjeuner. En guise de préambule pour cette journée, nous allons pouvoir pleinement apprécier le lever de soleil. Longeant la cime dune crête durant bien 3 km, nous profitons des premières lueurs, qui vont révéler la beauté des reliefs du Sud, certes moins escarpés, mais tout aussi photogéniques. Cette étape à priori sans trop de difficultés sera pourtant laborieuse. La fatigue engrangée et la fin du parcours se faisant de plus en plus proche, l'étape sera moralement très difficile. Nous voici à plus basse altitude afin de traverser le grand plateau du Cuscionu. Située dans l'Alta-Rocca, cette étape nous fera découvrir une autre facette de la variété et de la richesse des paysages corses.

Entre zones humides, vallonnements et vastes étendues planes, le relief s'adoucit un bref instant. Vient ensuite l'ascension du dernier grand sommet de la chaîne centrale corse : le sommet de l'Incudine. À l'Incudine la lande d'altitude, rase, domine, dans un saupoudrage de blocs granitiques. Son ascension sera longue et pénible. Mais une surprise nous attend à notre point culminant de cette journée.

Du sommet de l'Incudine la vue embrasse le Golfe dAjaccio, la Sardaigne, la Maddalena, l'île de Tavolara, les îles Cerbicales, la plaine d'Aléria et même l'île dElbe. Et nous retrouvons aussi avec joie Marion, Claire et Morgan, rencontrés au début de cette aventure avec qui nous avons partagé un bon bout de trajet. Très heureux de nous retrouver, nous finirons cette aventure comme nous l'avions commencé, ensemble. Arrivés relativement tôt au refuge, nous profitons de l'après-midi pour retrouver l'ensemble des personnes rencontrées sur ce GR.

Dernier refuge de notre périple, nous nous sommes tous donnés rendez-vous pour profiter, non sans nostalgie, de cette dernière soirée. Partis pour une aventure à trois, nous voici attablés pour un festin de roi en compagnie de toutes ces personnes que nous avons rencontrées sur les sentiers. Joli contre-pied de notre aventure qui n'est pas pour nous déplaire. Autour d'un bon plat de lentilles au figatellu concocté par le gardien du refuge, ça ripaille fort. Je savais que cet instant valait bien plus que notre ascension du Monte Cinto. Ce sont des moments précieux, d'une connexion entre des personnes qui ne se connaissaient pas, mais qui le temps de quelques jours se retrouvent liées par les mêmes désirs d'aventure. Un précieux fragment de vie qui se figera en de beaux souvenirs. Ce soir-là , j'ai le sentiment d'être plus entouré que jamais. Chacun d'entre nous compte des centaines d'amis Facebook, des milliers de followers sur twitter et Instagram, on s'échange des mails tous les jours. Nous sommes à la fois ultra-connectés au monde et déconnectés des autres. Et pourtant c'est bien ici, au beau milieu des montagnes corses que je me sens le plus connecté aux autres.

Mardi - Les aiguilles de Bavella

Pour cet ultime jour de randonnée, on s'offre une dernière petite gourmandise : les Aiguilles de Bavella. Situées en plein coeur du Parc Régional Naturel de Corse, les Aiguilles de Bavella dominent le col de Bavella à 1218 m d'altitude, reliant l'Alta Rocca à la côte Orientale et à la côte est de la Corse. À la fois massif, col et forêt, il résume à lui seul les particularités du relief de l'île, à savoir des formes perpétuellement délirantes et des couleurs qui vont du rouge le plus clair au gris le plus sombre, le tout saupoudré d'immenses forêts de pins Laricio. Plusieurs fois centenaires, ces gigantesques résineux s'agrippent aux parois vertigineuses. Lieu aux pics déchiquetés, aux grandes murailles rocheuses infranchissables, elles forment un magnifique terrain de jeu que l'on va pouvoir apprécier pour cette dernière journée. À notre arrivée au village de Bavella, il nous restera environ 1h45 de marche pour rejoindre le refuge de Paliri. Le GR20 traversant en partie le village, nous trouverons de quoi faire le plein en eau et de quoi manger pour ce midi. À la fontaine, le GR quitte la route et traverse une remarquable forêt de pins, sur une large piste jusqu'au pied de Foce Finosa. Petits sentiers à travers la verdure jusqu'au refuge de Paliri, le paysage prend des allures de Calanques marseillaises.

L'après-midi constitue notre ultime étape de ce GR20. Elle est incomparable avec les autres jours, tant au niveau du terrain que de la végétation. Les sentiers sont sablonneux dans la garrigue, la végétation est plus verte et les chemins sont moins accidentés. Cette étape nous fait passer par les ruines de Capeddu puis par la crête de Bocca d'Usciolu, dernier point de passage avant d'amorcer l'ultime descente vers Conca. Depuis ce passage creusé dans la roche, nous apercevons au loin la baie de Porto-Vecchio. Avec seulement deux petites montées, l'étape n'est pas difficile. Mais son profil descendant est rendu plus difficile par les fortes chaleurs. Le soleil implacable diffuse une lumière blanche et crue. On profite d'un petit gour d'eau pour se baigner avant de reprendre la route pour les 3 derniers kilomètres. Une fois arrivés à Conca, et comme la plupart des randonneurs, nous profitons d'une bonne pinte de Pietra bien méritée, toujours en compagnie de nos complices de randonnée.

Epilogue d'une traversée

Il y a des plaines, des vallées et des montagnes qui semblent avoir été prédisposées à la randonnée. C'est le cas pour l'île de beauté, reine des montagnes dans la mer. Le GR20 est comme cela, dune beauté âpre, fière et rugueuse, où rien n'est fade. Peut-être un peu à l'image de ceux qui l'habitent.

Une belle odyssée qui se termine dont on revient heureux et harassés comme Ulysse. De cette virée, nous garderons avec Pablo et Pierre chacun des souvenirs différents. Mais avec pour point commun le goût du partage et du défi qui composent certains des instants les plus importants de la vie. L'adage qui dit « plus c'est long, plus c'est bon » n'était assurément pas celui d'un philosophe, mais bien d'un randonneur.

Car c'est bien au travers d'effort comme celui-ci que chacun d'entre nous prend du plaisir dans la connaissance de soi, de son corps et de son intimité la plus profonde. C'est un moment où l'on va découvrir ses limites. Cet instant précis où l'on se sent pleinement vivant. Au delà d'avoir bouclé ce GR20, je crois que c'est ce qui me procure ce réel sentiment de satisfaction. Ce sentiment d'avoir construit quelque chose, d'avoir progressé. Et qui n'a pas éprouvé de la satisfaction à construire quelque chose ? Le corps peut vaciller, fléchir, accuser le coup, mais il peut aussi, à partir d'une défaillance qu'on pourrait croire rédhibitoire, forger une élasticité nouvelle, se ressaisir et se reconstruire d'un levier plus puissant encore. La souffrance, la pénibilité de l'effort devient donc une notion indissociable de celle du plaisir tout comme la notion de liberté ne pourrait exister sans celle des contraintes.

Et c'est l'essence même du sport et de l'aventure pour moi. Risque et sécurité, plaisir et souffrances, goût de la vie et trompe-la-mort, liberté et contrainte. Tel un funambule sur son fil, l'amoureux des grands espaces, joue constamment sur ces paradoxes. Sorte d'équilibre à trouver, pour ne pas être dans l'excès d'un côté comme de l'autre, cela devient un jeu de l'esprit et c'est peut-être ça après tout qui nous anime le plus en montagne.

Ecrit le 25.02.2022

by Bastien Seon


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